Ceol Mor

« CEOL MOR ou Piobaireachd ou Pibroch.

Le Ceol Mor est littéralement la grande musique de la cornemuse des Highlands d’Ecosse .
Mais c’est plus qu’une musique, c’est le reflet d’une civilisation ancienne aujourd’hui disparue , la société des clans, et aussi comme me disait mon professeur Bob Brown , c’est une forme de poésie (lines of poetry) et c’est aussi le portrait d’un sentiment, la joie, la haine, la colère, le chagrin, l’amour, la vengeance etc…

Le bon joueur de Ceol Mor doit dépeindre ce sentiment avec sa cornemuse, et pour cela la perfection technique du sonneur est certes nécessaire mais pas suffisante.
Il faut mettre de l’ombre et de la lumière dans la musique (« light and shade » disait Bob Brown)

Chaque pièce est la peinture d’un sentiment ou d’un évènement. Le compositeur de Ceol Mor a à sa disposition une palette de couleurs, les notes de la cornemuse, et chacune représente un sentiment particulier, comme par exemple :
– le low G (sol grave) est la note du rassemblement (gathering) et aussi la note la plus forte
– le low A (la) est la note du piper (sonneur), c’est aussi la note des bourdons autour desquels tout s’organise
– le B (si) est la note qui carillonne, qui tinte (voir le Pibroch « The bells of Perth », c’est aussi la note du challenge et de la détermination.
– le C (do) est considérée comme la note la plus musicale car en parfaite harmonie avec les bourdons
– le D (ré) est la note de la bataille et de la colère -le E (mi) est la note de l’appel et de l’écho.
– le F (fa) est la note de l’amour
– le G (sol) est la note du chagrin
– et enfin high A (la) comme low A la note du piper.
Le Ceol Mor comprend trois grandes catégories : la lamentation, en gaélique Cumha (Breton kanv qui signifie le deuil) mais proche aussi du mot Cumhachd qui signifie la puissance. C’est donc la souffrance de la force , de la puissance. Il faut donner une impression de fardeau (onoroch) qu’on porte sur les épaules quand on joue une lamentation.

Ensuite le Salut , qui est une pièce composée pour célébrer un évènement ou une personne . C’est aussi la musique de la voyance, de la prophétie, pleine d’anticipation .

Enfin le rassemblement (Gathering) qui est un appel (Gairm) aux quatre points cardinaux pour rassembler les membres du clan, mais aussi pour prévenir d’un danger. la note E est particulièrement importante.

Le Ceol Mor est lent, mais il y a un rythme interne dont la vitesse est un tiers du battement cardiaque (20).

On retrouve cette loi du chiffre 3 dans la musique de Ceol Mor, le chiffre 3 étant indivisible et donc le symbole de la perfection .

Le Ceol Mor a un effet relaxant et envoûtant, pour moi c’est un peu une forme de yoga mental.

Le sonneur est toujours à la recherche de la perfection, perfection de son instrument et perfection du rapport des notes entre elles, ce qu’on appelle donc l’ombre et la lumière . La cornemuse est un instrument qui produit des harmoniques très riches générées par l’interaction entre les bourdons et le « chanter » (levriad en Breton, ou chalumeau en Français)

Quand ma cornemuse est parfaitement accordée, j’ai l’impression d’être dans une « bulle sonore » et le Ceol Mor est une sorte de prétexte pour sublimer ces merveilleuses harmoniques . D’ailleurs il y a une pièce de Ceol Mor qui s’appelle « The cave of gold », ou la caverne d’or , et cette caverne dorée pour moi, c’est cette fameuse bulle sonore quand toutes les harmoniques de la cornemuse sont en phase, ou verrouillées (locked)

Le joueur de Pibroch ou Ceol Mor est seul dans sa bulle. Il y a de la tragédie dans son regard et ses yeux immobiles donnent une impression à la fois de mépris triste et de passion qui couve . Cette impression de tragédie et de mélancolie dans son regard est voilée par une concentration impénétrable .

Quand son instrument et lui ne font plus qu’un, il arracherait des larmes à des parois de granite. Il peut arriver à hypnotiser des foules et incruster dans leurs cerveaux ce qui est implicite plus que ce qui est joué réellement.
Chaque pièce véhicule un sentiment, ou raconte une histoire, légende ou fait réel. »

Patrick Molard